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extraits du livre "Ma boutique de Poésie"





« Et les jours passent avec la même angoisse, avec les bruits du silence. Et les gens aussi passent, le plus souvent la tête basse, les mains chargées de provisions de bouche comme pour la guerre de cent ans, parfois en possession d’un chien aussi silencieux qu’eux. Maintenant, avec l’autorisation –que dis-je- l’approbation de la marée chaussée, je leur adresse la parole devant ma porte :

-          Vous êtes devant la boutique de Poésie de Paul COBAN, cette boutique est unique au monde. On ne la trouve ni en Amérique, ni en Australie, ni au Japon, pas même à Paris…  Sur les 42 000 kilomètres de circonférence du globe, beaucoup de cinémas, de librairie, une seule boutique de Poésie.

Et un gavroche échappé de Montmartre, très admiratif :
- C’est beau le monopole ! »

  « Vous le savez déjà, je suis en bout de ville, mais ce bout de ville conduit en partie au marché, je dis en partie car par malheur un boyau, situé quelques boutiques plus haut, déferle sur la place de la lanterne des morts le trop-plein du centre-ville. Le marché se trouvant donc dans mon dos, mille consommateurs passent devant la boutique dans la matinée à la même cadence, sac à la ceinture et cabas en main, avec un seul cri dans la gorge : « nous n’avons pas le temps ! ».
Malgré leur refus de s’intéresser à mon art, ces gens pressés me respectent un peu. Bien plus que les autres qui restent muets me considérant comme une quantité négligeable. D’ailleurs pour eux, me répondre serait déjà un début de défaite, ils fuient mon approche, ils fuient ma voix, ils fuient l’engagement, ils fuient même leur responsabilité. Tout pour le ventre, rien pour l’esprit.
Le matin, c’est la course à la bouffe
 Le midi, c’est le repas
L’après-midi, c’est le repos
Le soir, c’est le répit
À la fin de la semaine, ils sont tous repus. »





«  Sur la vitre de la porte d’angle de ma boutique donnant face à la route de Boyardville, c’est-à-dire face à l’école Pierre Curie pour ceux qui connaissent l’endroit, lassé de ne voir personne, je mis une affichette : « C’est ouvert ! Et si vous ne pouvez pas ouvrir la porte, je vous paie un fortifiant ».
Alors de nombreux passants s’arrêtent, lisent et rient, mais ne rentrent pas pour autant. Avouez que l’on peut se demander parfois à quoi sert l’esprit.
Alors pour contrebalancer cette malchance permanente si l’on peut dire, je glisse pour ne pas encourager les railleurs une feuille où s’étalent ces mots :
« Vos yeux pleurent, mais jamais de tendresse pour le poète affamé. Du courage, entrez vite ! »
Voyant tous mes efforts restés sans résultat, sur l’autre pancarte crème extérieure à gauche de la vitrine, j’inscris sans rage et sans amertume :
« La Poésie n’est pas faite pour les chiens, elle est faite pour vous »
Celle-là encore plus que les deux autres ne servit que de pierre d’achoppement. Les braves mémères sortant leur toutou vinrent me jeter à la face :
-          Vous n’aimez pas les bêtes, hein ?

Ce qui laisse sous-entendre :
-          Vous n’aimez pas les gens

L’être adorable qui vit à mes côtés aujourd’hui sait combien je suis un homme d’ordre, je mets chaque chose à sa place et j’évite de mélanger les torchons et les serviettes. Ce qui veut dire en court, je reste à ma place.
Mais bien souvent, devant cette ironie des passants, je tends les clefs de ma porte :
-          Si vous voulez prendre ma place, je vous laisse tout le matériel et ma boutique. Je suis prêt à m’en aller ailleurs si vous le décidez. »



« Il m’en coûte beaucoup de réveiller les morts, c’est-à-dire des gens ignorants, non préparés ou tout simplement avares ? Car nous sommes tous avares… Avares de notre temps, avares de notre sourire, avares de notre accueil, je ne parle pas de notre argent.
Car depuis Mathusalem, les bas de laine sont souvent tricotés pour y placer des Louis d’or. Quoi de plus facile d’être opportuniste en flattant les bas instincts de l’homme en lui disant : « Économise ! Épargne ! » Alors que d’instinct, il le fait sans fatigue et avec plaisir.
 J’aurais dû marquer au jour le jour mes douleurs et mes angoisses pour vous les faire partager.

Vous pouvez me répondre :

 « Est-ce bien utile ? »

Oui, pour tenter de devenir meilleur, pour ne pas suivre l’exemple des autres, pour devenir plus humain et ne croyez pas que ce sont des mots. Lorsque vous serez seul, affamé, malheureux de ne plus être compris. Là et seulement là, vous comprendrez ces lignes et vous ne penserez plus que ce sont des mots placés les uns à côté des autres.
Lorsque vous vous serez dépensé à circuler dans les rues pour trouver un peu d’attention –je ne dis pas un peu d’affection- ici et encore là, vous comprendrez qu’un écrivain a réellement sa place dans la société, qu’il n’est pas seulement l’initiateur, mais aussi le confident.
Celui qui n’a pas souffert les mêmes maux que son voisin ne peut le comprendre.
Par la dureté s’engendre la cruauté, par l’appât du gain s’élève un mur d’airain qu’aucun homme ne peut franchir.
Quel est l’homme qui puisse dire qu’il suffit d’attendre pour être consolé ?
Le drame total commence justement là où les amis ne sont plus d’aucun secours. Regarder un ami et voir sur lui, le masque de sa propre rigidité ! Sentir que toutes les valeurs disparaissent pour ne plus laisser la place qu’à l’argent et qu’une demande quelle qu’elle soit est prise pour une amputation à la liberté.
Parfois, un être timide et qui au prime abord peut paraître insignifiant, sous la demande ou l’interpellation du poète, s’éveille. Son masque de raideur tombe, pour laisser transparaître une émotion émouvante.
 Ils sont rares, il est vrai, de tels êtres, mais ils existent et ces rencontres permettent au Poète d’espérer, de survivre et d’attendre. »




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